NanAlim est une société agroalimentaire spécialisée dans la transformation de la pâte de manioc en attiéké au Burkina Faso. Gérée par Sabine Zoumbara/Nana, elle est située dans la commune rurale de Pabré, à une dizaine de kilomètres de la capitale Ouagadougou. Avec un chiffre d’affaires d’environ 230 millions F CFA, elle emploie 20 permanents et 30 contractuels. Nous sommes allés dans la matinée du 13 mars 2023, à la découverte de cette entreprise à travers le processus de fabrication de ses produits.
Ce lundi 13 mars 2023, il est 10 minutes après 10 heures du matin quand on nous sommes arrivés sur le site de la société agroalimentaire, NanAlim. Des enseignes sur le mur, Nanattiéké, nous rassurent que nous sommes bien sur le lieu indiqué. Nous sommes aussitôt accueillis par la propriétaire des lieux, Sabine Zoumbara/Nana. Elle nous conduit au service administratif à la rencontre de ses plus proches collaborateurs.
Les salutations d’usage terminées, on entame la visite en compagnie du Directeur général (DG), Armel Ouédraogo. A l’entrée de l’enceinte, à droite se trouve l’administration où est affiché le règlement intérieur à l’adresse du personnel. On peut lire, entre autres, « port de tenue obligatoire, interdit de bavarder, de manger, de fumer dans l’unité ». A gauche c’est le vestiaire pour enrober les tenues de travail. En face, se dresse un portail double battant. Une fois la blouse et le bonnet blancs enfilés, l’accès à la zone de production nous est donné. Celle-ci est subdivisée en plusieurs compartiments ouverts.
Le premier est la salle de réception de la matière première (pâte de manioc) contenue dans des sacs (100 kg) et sur lesquels sont notifiées, sous des codes, la provenance, la date d’arrivée, etc. Selon le DG, ils viennent du grand Ouest (Orodara, Banfora, Bobo-Dioulasso), de la Côte d’Ivoire et sont conservables jusqu’à 3 mois. « C’est grâce à l’innovation de la propriétaire des lieux que l’attiéké est fait à partir de la pâte de manioc. Sinon, avant il fallait écraser les tubercules», s’empresse de signifier le guide du jour.
Il nous apprend que la quantité de pâte utilisée peut atteindre deux tonnes par jour pour produire l’attiéké frais et déshydraté. Du magasin, on accède à la deuxième salle de délayage. Ici, se trouvent des récipients contenant la pâte diluée dans l’eau. « Cette étape sert à ajouter de l’eau à la pâte pour diminuer ou augmenter son acidité. Elle permet aussi de débarrasser la pâte de ses impuretés », explique M. Ouédraogo.
Ensuite, la matière est renversée dans des sacs placés sous presse manuelle. Ce passage consiste à en réduire considérablement l’eau. Le liquide rejeté est recueilli pour faire de l’amidon. Puis le produit est acheminé dans la salle de tamisage. Ici, huit personnes dont un homme, vêtues de blouses bleues et de masques, pieds nus, sont à l’œuvre autour de grandes bassines. Elles ont la charge de faire passer la pâte à travers les mailles des différents tamis.
Selon le DG, de ce laboratoire sortent l’attiéké agbodjama (les grains sont uniformisés) en gros grains et petits grains, l’attiéké président, premier ministre, l’attiéké simple (les grains ne sont pas uniformisés). Ce cap franchi, le produit est étalé sur des tables sous ventilation dans la salle de pré-séchage afin de réduire encore l’eau. Une partie du toit est transparente pour laisser pénétrer les rayons solaires. «15 à 20 mn, c’est le temps nécessaire pour garder le produit ici avant de l’envoyer à l’étuvage.
Au-delà de ce temps, il y a le risque qu’il devienne pâteux », dit l’expert. La salle d’étuvage, c’est la « chambre chaude ». On découvre des foyers fonctionnant au gaz sur lesquels sont installées de grosses marmites couvertes de couscoussières. C’est le passage à la vapeur. Au bout de quelques minutes, l’attiéké est prêt. Il peut être conditionné dans des emballages quand on le veut frais. Mais si c’est le déshydraté, il est envoyé au four pour 24 h ou sur la table de séchoir solaire pour 48 h.
La visite se poursuit à la pièce de conditionnement des produits finis. Les différents formats sont : l’attiéké frais de 5 kg (2 500 F CFA) et 750 g à 500 F CFA. Cette qualité n’est produite que sur commande. Le déshydraté-président de 500g se vend à 750 F CFA. La responsable qualité et production, Fatoumata Zongo, profite nous informer que le travail démarre de 7h 30 à 12h avec une pause jusqu’à 13h.
L’heure de la descente est fixée à 17h. Toutefois, pour atteindre aujourd’hui ce niveau, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, fait savoir la première responsable, Sabine Nana. Son histoire de production d’attiéké a commencé, dit-elle, après son retour forcé au pays. En effet, elle fait partie des Burkinabè rapatriés de la Côte d’Ivoire en 2002. Réunies en association Teel Taaba, elle et ses camarades pour se prendre en charge, se sont lancées en 2004 dans la transformation des tubercules de manioc en attiéké.
L’innovation
Une activité qu’elles savaient le mieux faire. Mais à l’entendre, elles devraient faire face au problème de qualité de la matière première locale. Une situation qui engendra plusieurs nuits d’insomnies. « La vie était difficile pour nous. En tant que présidente, entourée de plus de 400 personnes, la charge était lourde. Je priais chaque jour pour que Dieu nous ouvre des portes ».
A force de cogiter et de prier pour trouver des solutions, la dirigeante finit par tenter une autre utilisation de la pâte de placali, (une forme de tôt). « Il m’est venue à l’idée que le processus de transformation de manioc en pâte (placali) est le même que celui de l’attiéké. Alors j’ai utilisé la pâte qui est aigre et en essayant de réduire l’acidité. Je l’ai trempée par exemple plusieurs fois dans l’eau.
Grâce à ma détermination, j’ai fini par trouver la solution », relate-t-elle. Pour elle, c’est une innovation, une grande découverte. « On a gagné en temps car, il suffit désormais de payer la pâte déjà prête et de la transformer en attiéké », poursuit-elle. D’ailleurs, pour avoir eu la clairvoyance de transformer la pâte de manioc (placali), en attiéké, Claire Sawadogo, en son temps, secrétaire de l’association Teel Taaba lui a rendu hommage dans le précédent numéro du journal.
A en croire la battante, cette innovation a facilité en 2008, le financement d’installation des femmes dans les quartiers de la capitale en mini groupes. Et chacune a poursuivi en solo après. Aujourd’hui, on dénombre plus de 500 femmes actives dans ce secteur. L’obtention d’unités de production et la découverte de la variété V5 par l’INERA au Burkina Faso font également partie des retombées de la découverte. Quant à l’unité de transformation semi- industrielle, NanAlim, ses débuts datent de 2017.
L’entrepreneur remonte dans le temps pour expliquer le début : « en 2008, quelqu’un nous a fait faire 3 tonnes d’attiéké frais qu’il n’a pas pris. La seule solution était de l’étaler au soleil pour sécher. Après, quand je l’ai remis à la vapeur, le goût n’a pas changé ». Fière de sa découverte (produit déshydraté), elle l’annonce à ses partenaires comme la GIZ qui ont bien apprécié. « Ils ont dit que c’est la plus-value de l’attiéké frais. Ils ont commandé 100 tonnes pour amener à la semaine verte de Berlin en 2009.J’y ai été pour préparer la dégustation », indique-t-elle. La cible suivante a été le monde scolaire. Convaincue qu’il peut être servi à la cantine scolaire, elle le présente au ministère de l’Education dirigée par Mme Odile Bonkoungou.
D’autres paris
L’écho est favorable. Toutefois, dame Nana dit qu’après avoir murement réfléchi, elle décide d’arrêter les démarches, faute d’équipement et de local convenables pour avancer, si jamais elle devait s’engager dans cette dynamique. Elle a reculé pour mieux sauter. « Plus tard, en 2016, j’ai contracté un prêt de 57 millions F CFA pour installer cette unité qui fonctionne à partir de 2017.
Elle est érigée sur une superficie de plus de 3 000 m2 », fait savoir la promotrice. Elle emploie présentement 20 permanents et 30 contractuels. Au temps de grosses commandes, il peut y avoir plus de 300 contractuels. La société NanAlim ne manque pas de projets. Selon la première responsable qui déborde d’imagination, le projet immédiat porte sur l’enrichissement de l’attiéké séché à la carotte, au haricot vert, au moringa, aux feuilles de manioc, aux épices (l’ail, persil, céleri), au poisson sec et au soumbala.
La farine infantile à base d’attiéké est également visée. Tous ces produits seront disponibles bientôt. A long terme, elle envisage la transformation de son unité en industrie, afin d’atteindre 10 tonnes de production quotidienne. Un espace octroyé par la mairie sera exploité à des fins sociales où seront installés par exemple des moulins, un forage… Quand on demande à Nana Sabine le secret de sa réussite, elle répond que c’est la volonté de Dieu. Elle croit que ses inspirations viennent de Dieu qui lui donne la force de tenir bon et de réussir les responsabilités qui lui sont concédées.
Ainsi, elle est présidente de l’Association Teel Taaba pour la réinsertion socio-économique des femmes rapatriées de Côte d’Ivoire, présidente de l’Union nationale des sociétés coopératives de transformatrices de manioc, présidente de l’Interprofession filière manioc. Sous ces différentes casquettes, elle a participé à plusieurs foires nationales et sous régionales. Son NanAlim a obtenu des distinctions. On peut citer, entre autres, la meilleure entreprise dans le cadre du championnat des PME et industries agroalimentaires nationales, Faso agroalimentaire Award 2019, prix burkinabè de la qualité en 2018 et 2021 la considérant comme une entreprise qui a occupé le marché local et protégé l’environnement.
Elle est aussi lauréate du grand prix du président du Faso en 2019. Sabine Nana lance un appel à l’Etat et à ses partenaires afin d’aider les producteurs à l’intensification de la production du manioc par l’irrigation. Elle pense de ce fait, que le prix du sac de 100 kg de pâte qui est de 20 000 F CFA va chuter. Comme doléance, l’entrepreneure demande à tous ceux qui veulent faire des dons aux PDI, de penser à prendre en compte leurs produits. Par rapport à la contribution à l’effort de guerre, souffle Mme Nana, la société a offert en 2022 deux tonnes d’attiéké aux Personnes déplacées internes (PDI). Il y a eu, en plus, des formations au profit des femmes PDI, 10 tonnes de dons aux organisations qui s’occupent des femmes.
Source
Sidwaya